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ment à la lueur des orages (9). Ah! c'est dans ces momens que l'ame du Philofophe s'étend, devient immenfe & profonde comme la nature. C'est alors que fes idées s'élèvent & parcourent l'univers. Infatiable de voir & de connoître, par-tout où il paffe, DESCARTES interroge la vérité. Il la demande à tous les lieux qu'il parcourt, il la poursuit de pays en pays. Dans les villes prifes d'affaut, ce font les fçavans qu'il cherche. Maximilien de Bavière voit dans Prague dont il s'est rendu maître, la capitale d'un royaume conquis. DESCARTES n'y voit que l'ancien féjour de Tycho-Brahé. Sa mémoire y étoit encore récente ; il interroge tous ceux qui l'ont connu ; il fuit les traces de fes penfées; il raffemble dans les converfations, le génie d'un grand homme. Ainfi voyageoient autrefois les Pithagore & les Platon, lorsqu'ils alloient dans l'Orient étudier ces colonnes, archives

des nations & monumens des découvertes antiques. DESCARTES, à leur exemple, ramaffe tout ce qui peut l'inftruire. Mais tant d'idées acquifes dans fes voyages ne lui auroient encore fervi de rien, s'il n'avoit eu l'art de fe les approprier par des méditations profondes, art fi néceffaire au Philofophe, fi inconnu au vulgaire,' & peut-être fi étranger à l'homme. En effet, qu'est-ce que méditer? C'est ramener au dedans de nous notre existence répandue toute entière au dehors; c'est nous retirer de l'univers pour habiter dans notre ame; c'est anéantir toute l'activité des fens, pour augmenter celle de la penfée ; c'est rassembler en un point toutes les forces de l'efprit; c'eft mefurer le temps, non plus par le mouvement & par l'efpace, mais par la fucceffion lente ou rapide des idées. Ces méditations dans DESCARTES, avoient tourné en S habitude (10). Elles le fuivoient par

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tout. Dans les voyages, dans les camps, dans les occupations les plus tumultueuses, il avoit toujours un afyle prêt où fon ame fe retiroit au befoin. C'étoit là qu'il appelloit fes idées. Elles accouroient en foule. La méditation les faifoit naître. L'efprit géométrique venoit les enchaîner. Dès fa jeuneffe il s'étoit avidement attaché aux mathématiques, comme au feul objet qui lui préfentoit l'évidence (11). C'étoit là que fon ame fe repofoit de l'inquiétude qui la tourmentoit par-tout ailleurs. Mais dégoûté bientôt de spéculations abstraites, le defir de fe rapprocher des hommes le rentraînoit à l'étude de la nature. Il fe livroit à toutes les fciences. Il n'y trouvoit pas la certitude de la géométrie, qu'elle ne doit qu'à la fimplicité de fon objet ; mais il y tranfportoit du moins la méthode des Géomètres. C'est d'elle qu'il appre

noit à fixer toujours le fens des ter

mes,

E

mes, & à n'en abufer jamais; à dé-
composer l'objet de fon étude ; à lier
les conféquences aux principes; à re-
monter par l'analyse; à defcendre par
la fynthèse. Ainfi l'efprit géométrique
affermiffoit fa marche; mais le cou-
rage & l'efprit d'indépendance bri-
foient devant lui les barrières, pour
lui frayer des routes. Il étoit né avec
l'audace qui caractérise le génie; &
fans doute les événemens dont il avoit
été témoin, les grands fpectacles de
liberté qu'il avoit vus en Allema-
gne, en Hollande, dans la Hongrie &
dans la Bohème, avoient contribué à
développer encore en lui cette fierté
d'efprit naturelle. Il ofa donc conce-
voir l'idée de s'élever contre les ty-
rans de la raison. Mais avant de dé-
truire tous les préjugés qui étoient
fur la terre, il falloit commencer par
les détruire en lui-même. Comment
y parvenir ? Comment anéantir des
formes qui ne font point notre ou-
Tome IV
B

vrage, & qui font le résultat néceffaire de mille combinaisons faites fans nous? Il falloit, pour ainfi dire, détruire fon ame & la refaire. Tant de difficultés n'effrayerent point DESCARTES. Je le vois pendant près de dix ans luttant contre lui-même pour fecouer toutes fes opinions. Il demande compte à fes fens, de toutes les idées qu'ils ont portées dans fon ame; il examine tous les tableaux de fon imagination, & les compare avec les objets réels; il defcend dans l'intérieur de fes perceptions qu'il analyse; il parcourt le dépôt de fa mémoire, & juge tout ce qui y eft rassemblé. Par-tout il pourfuit le préjugé, il le chaffe de retraite en retraite; fon entendement peuplé auparavant d'opinions & d'idées, devient un défert immenfe, mais où déformais la vérité peut entrer (12).

Voilà donc la révolution faite dans Pame de DESCARTES: Voilà fes idées

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