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toutes les nations; défir qu'on ne s'étoit point encore avifé de calomnier. Elle lui donne enfuite, pour tout le temps de fa jeuneffe, une activité inquiéte (5), ces tourmens du génie, ce vuide d'une ame que rien ne remplit encore, & qui fe fatigue à chercher autour d'elle ce qui doit la fixer. Alors elle le promène dans l'Europe entière, & fait paffer rapidement fous fes yeux les plus grands fpectacles (6). Elle lui préfente, en Hollande, un peuple qui brife fes chaînes & devient libre, le Fanatifme germant au fein de la liberté, les querelles de la religion changées en factions d'Etat; en Allemagne, le choc de la Ligue Proteftante & de la Ligue Catholique, le commencement d'un carnage de trente années; aux extrémités de la Pologne, dans le Brandebourg, la Poméranie & le Hostein, les contre-coups de cette guerre affreuse ; en Flandre, le contrafte de dix provinces opulen

tes restées soumises à l'Èfpagne, tandis que fept provinces pauvres combattoient depuis cinquante ans pour leur liberté ; dans la Valteline, les mouvemens de l'ambition Espagnole, les précautions inquiétes de la Cour de Savoie; en Suiffe, des loix & des mœurs, une pauvreté fière, une liberté fans orages; à Gênes, toutes les factions des républiques, tout l'orgueil des monarchies; à Venife, le pouvoir des nobles, l'esclavage du peuple, une liberté tyrannique ; à Florence, les Médicis, les arts & Galilée; à Rome, toutes les nations raffemblées par la religion, fpectacle qui vaut peut-être bien celui des ftatues & des tableaux; en Angleterre, les droits des peuples luttant contre ceux des Rois, Charles I fur le trône, & Cromwel encore dans la foule (7). L'ame de DESCARTES à travers tous ces objets, s'élève & s'aggrandit. La religion, la politique, la liberté, la nature, la morale,

tout contribue à étendre fes idées; car l'on fe trompe, fi l'on croit que l'ame du Philofophe doit fe concentrer dans l'objet particulier qui l'occupe. Il doit tout embraffer, tout voir. Il y a des points de réunion où toutes les vérités fe touchent; & la vérité univerfelle n'eft elle même que la chaîne de tous les rapports. Pour voir de plus près le genre humain fous toutes les faces, DESCARTES fe mêle dans ces jeux fanglans des Rois, où le génie s'épuise à détruire, & où des milliers d'hommes affemblés contre des milliers d'hommes, exercent le meurtre par art & par principes (8). Ainfi Socrate porta les armes dans fa jeuneffe. Par-tout il étudie l'homme & le monde. Il analyfe l'efprit humain. Il obferve les opiInions, fuit leur progrès, examine leur influence, remonte à leur fource. De ces opinions, les unes naiffent du gouvernement, d'autres du climat, d'autres de la religion, d'autres de la forme

&

des langues, quelques-unes des mœurs, d'autres des loix, plufieurs de toutes ces causes réunies. Il y en a qui fortent du fond même de l'efprit humain & de la conftitution de l'homme ; celles-là font à-peu-près les mêmes chez tous les peuples. Il y en a d'autres qui font bornées par les montagnes & par les fleuves; car chaque pays a fes opinions comme fes plantes. Toutes ensemble forment la raison du peuple. Quel fpectacle pour un Philofophe! DESCARTES en fut épou vanté. Voilà donc, dit-il, la raison humaine Dès ce moment il fentit s'ébranler tout l'édifice de fes connoiffances: il voulut y porter la main. pour achever de le renverfer; mais il n'avoit point encore affez de force, & il s'arrêta. Il pourfuit fes obfervations; il étudie la nature phyfique. Tantôt il la confidère dans toute fon étendue, comme ne formant qu'un feul & immenfe ouvrage; tantôt il la fuit dans

fes détails. La nature vivante & la nature morte, l'être brut & l'être organifé, les différentes claffes de grandeurs & de formes, les deftructions & les renouvellemens, les variétés & les rapports, rien ne lui échappe, comme rien ne l'étonne. J'aime à le voir debout fur la cîme des Alpes, élevé par fa fituation au deffus de l'Europe entière; fuivant de l'œil la courfe du Pô, du Rhin, du Rhône & du Danube, & delà s'élevant par la pensée vers les cieux qu'il paroît toucher, pénétrant dans les réfervoirs destinés à fournir à l'Europe ces amas d'eaux immenfes; quelquefois obfervant à fes pieds ies espèces innombrables de végétaux femés par la nature fur le penchant des précipices, ou entre les pointes des rochers; quelquefois mefurant la hauteur de ces montagnes de glace, qui femblent jettées dans les vallons des Alpes pour les combler; ou méditant profondé

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