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Je passai des nuits sans sommeil;
Mais renaissant avec l'aurore
Je disais au Dieu que j'adore :

Je veux dormir sous ton soleil.

Et ce fut là mon crime, ô tyrans de ma vie !
Quand la première fois par vos bras entraîné,
Faible et timide agneau trouvé dans la prairie,
Comme un loup furieux je me vis enchaîné.
Hommes cruels avec ivresse,

Que vous avait fait ma jeunesse
Pour lui fermer tous les hasards?
Peut-être une main tutélaire,
Sur mon front souillé de poussière,
Allait deviner les beaux arts.

Plongé dans un cloaque ouvert à tous les vices
Je subis deux étés leurs sinistres leçons,
Et cependant déjà, dans ses heureux caprices,
Ma voix, ma voix d'enfant s'essayait aux chansons.
Hors de mon détestable abîme

Je rêvais un monde sublime,

Où les méchants avaient seuls tort 2.
Bientôt le voile se soulève,

Je sors le cœur plein de mon rêve...
Hélas! je crus rêver encor!

Je la vois cette foule insensée et barbare
De forfaits, de vertus adultère hideux,
Je vois le riche altier, fermant sa main avare,
Lever sur l'infortune un bras injurieux 3.
Mais la douleur en vain m'assiége,

Jusqu'à l'instant où, dans un piége,

1 On n'enchaîne pas les loups, on les tue. Un mot sur la privation de la liberté eut mieux valu que cette image du loup et de l'agneau. (Note de Béranger.)

' Vers bien faible. (Note de Béranger.)

Ce vers est à refaire. Il ne me semble pas juste par le fond; il tient, selon moi, la place de quelque chose de mieux à dire. (Note de Béranger.)

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Je suis jeté devant Thémis,
Morne, craintif et sans défense,
Tribut affreux de redevance,
Cadavre à son couteau promis1.

Je tombai sous vos coups, mortels impitoyables,
Egorgé sans plaisir, sans regret, froidement.
Privé du casque d'or qui sauve des coupables,
Je ne vis pas le glaive hésiter un moment.
Bel âge, erreur, faute première,
Effroi, larmes, plainte, prière,
Rien ne troubla vos cœurs d'airain.
Tout chauds du sang de ma jeunesse,

2

Sans doute aux pieds d'une maîtresse

Vous badiniez le front serein.

Des pleurs! des fers! des pleurs! des fers! des pleurs encore !
Et bientôt d'autres fers! Et surtout d'autres pleurs!
Oh! qui voudra d'un jour juger par son aurore!
Mon beau matin brillait de si fraîches couleurs!
Et toujours parmi les ténèbres,

Comme un saule aux rameaux funèbres,
Je crus, penché sur un cercueil,

Proscrit, plaintif et solitaire,

Effeuillant mes jours sur la terre
Dont j'espérais être l'orgueil".

Pendant cinq ans entiers traînant la même chaîne
Me vit-on un moment, dans la fange abattu,
Vouer au genre humain cette exécrable haine
Dont les cœurs criminels composent leur vertu ?
Épris du plus touchant délire'

Je façonnais la tendre lyre.

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Cadavre promis à un couteau: est-ce bien ce que vous avez voulu dire? Un cadavre est privé de vie. Relisez les vers qui commencent l'autre strophe. (Note de Béranger.)

'Je n'aime pas cette fin. En tout cas il faudrait mettre, il me semble, le soir aux pieds, au lieu de sans doute. (Note de Béranger.)

'Pourquoi êtes vous si'sûr que vous deviez être l'orgueil de la terre ? Il faudrait exprimer cela par le doute. (Note de Béranger.}

Où mon âme se répétait,

Espérant, par un temps plus calme,
Décorer mon nom de la palme

Qu'un grand homme' me promettait.

Mon heure enfin sonna, mes verroux se brisèrent,
A mes yeux étonnés s'agrandit l'horizon;

Je revis mon berceau, mes chagrins s'apaisèrent.
Hélas! deux mois plus tard je pleurais ma prison.
Seul, sans espoir et sans fortune,
Lassé d'une vie importune,
J'appuyais le fer sur mon sein
Quand l'Amour, traversant la nue,
Frappa, surprit, troubla ma vue
Et le fer glissa de ma main".

« Eh quoi! tu veux mourir, me dit l'enfant céleste,
Et jamais cœur ami n'a coulé dans ton cœur !
Cherche ma douce loi, quitte un dessein funeste :
Le sort t'accable en vain ; l'amour est son vainqueur. »>
Je crus à ce riant mensonge,

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Ici, qui va parler? Quelle voix ferme et sûre
Peindra les maux cruels dont je fus assailli?
Que d'horribles douleurs sans terme ni mesure!
Pour tant de miel cherché que de fiel recueilli !

1 Quel grand homme? Je cherche dans vos connaissances; et si, par hasard. vous avez eu l'idée de me désigner, vous faites encore là cette faute que je vous reproche si souvent, Bon Dieu! où cherchez-vous vos grands hommes ? Songez donc à ce que vous dites. Point de folle exagération! Un pauvre petit poëte, un grand homme! Effacez ce mot et mettez tout bêtement mon nom. Soyez vrai enfin. (Note de Béranger.)

' Votre personnification de l'amour ne vaut rien ce que vous faites dire dans la strophe suivante ne vaut pas mieux. Est-ce ainsi qu'on parle de l'amour? Dans votre position vous avez tout autre chose à dire sur un pareil sentiment, et à dire autrement. (Note de Béranger.)

Combien de hontes et de peines!.
De cris perdus, de sueurs vaines !
De force dans l'adversité !
Et, pour unique récompense,
Sur le spectre de la souffrance,

Les lambeaux de la probité1!

Juges, qu'auriez-vous fait sous de froides murailles,
L'hiver, sans pain, sans feu, sans amis, sans travaux,
Les ongles de la faim déchirant vos entrailles,
N'attendant plus du ciel que des tourments nouveaux ?
Trouvant l'affront au lieu d'estime?

Entre une mort lente et le crime

Dont les triomphes sont aisés?
Enfin, dans une angoisse extrême,
Trainés par le crime lui-même,
Qu'auriez-vous fait? vous vous taisez '!

Pourtant vous avez dit : « Frappons! il le mérite.
Il a lutté longtemps: Qu'importe ! il est tombé.
La vertu qui succombe est toujours sans mérite *. »
Låches! sous vos lambris, aurai-je succombé?
Puisant une molle existence

Dans l'urne d'or de l'abondance,
A l'ombre d'un noir étendard,
Vous n'avez qu'à tuer la proie
Que l'ignorance vous envoie
Pour expirer sous le poignard!

Mais du réduit funeste où languit ma misère
Je dresse le gibet où les temps vous verront;

1 Qu'est-ce que les lambeaux de la probité? Pourquoi croire qu'il n'y a de probité que sous les haillons? (Note de Béranger.)

J'adopte votre correction de cruelle au lieu de lente. Il faudrait refaire les trois derniers vers, parce que la même apostrophe se trouve à la quatrième strophe. (Note de Béranger.)

Rime mauvaise. Mérite, verbe; mérite, substantif. (Note de Béranger.) Songez que ce ne sont pas les juges qui décident du sort des accusés, mais leurs concitoyens qui sont jurés. De plus cette image est la même que velle du cadavre promis au couteau. (Note de Béranger.)

Vous entendrez mon râle à votre heure dernière;
Dans la postérité1 mes clameurs vous suivront.
Et quand un siècle moins coupable
Aura brisé l'arme implacable
Aux mains du sacrificateur,
Thémis pleurant sur ma mémoire,
Dira : « Quelle eût été sa gloire
S'il eût brillé de sa hauteur!».

CORRESPONDANCE,

LETTRE DE M. HOUBIGANT A M. COCHERIS A l'occasion de sa réflexion critique sur le médaillon de François Ier qui existe dans le portique de Sarcus à Nogent-les-Vierges.

Mon cher monsieur Aubry,

Mon excellent ami, M. Houbigant, m'adresse une réponse à la note que j'ai insérée sur son château de Sarcus, et lève mes doutes relatifs à l'authenticité du médaillon de François Ier. Vous m'obligeriez infiniment en insérant sa réclamation.

Tout à vous.

Monsieur et ami,

H. C..

Je suis fâché que vous ne m'ayez pas communiqué votre doute sur l'authenticité du portrait de François Ier dans la collection des médaillons du portique de Sarcus, quand nous étions ensemble à Nogent en présence même du médaillon; non que la vue du médaillon lui-même doive, par sa présence seule, faire cesser aussitôt toute espèce de doute; mais parce que j'avais là, en ma possession, ma collection des portraits de François Ier, dessinés sur nature, avant l'accident de Romorantin, et qui auraient pu me servir à vous sursaturer de la conviction que votre doute n'était nullement fondé.

1 Vos juges ou vos jurés n'iront pas à la postérité; ils n'y pensent pas le moins du monde. Ne fallait-il pas dire :

A la postérité mes cris vous nommeront ou à peu près. (Note de Béranger.)

Toutes les corrections que vous proposez pour cette fin de strophe ne la rendront pas plus convenable. Quelle bouffée d'orgueil! C'est là votre maladie. D'après quoi Thémis parlera-t-elle de votre hauteur? Réclamez au nom de l'humanité, mais non pas au nom du génie ; cela n'est permis à personne, pas même au génie. (Note de Béranger.)

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