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bientôt des massacres d'hommes et d'animaux. Ce vautour signifie ceux qui suivent les dames et les damoiselles pour en faire leur profit; et ceux qui marchent sur leurs pas, parce qu'ils ne savent pas où aller, sont ceux qui n'aiment personne. Ils ne peuvent voir une femme sans lui parler d'amour; ils ne parlent d'amour que pour prier, et ils ne prient que pour tromper. Ceux qui, au contraire, vont à l'armée pour servir leur seigneur signifient les loyaux amis. Pour moi, certes, je ne vous suis pas à la manière du vautour. Mes paroles ne peuvent vous dire pourquoi je vous suis. Si cependant vous aviez voulu me retenir, je vous aurais dit que je n'avais d'autre but que de vous servir; et puisque nulle raison ne peut vous toucher, je n'ai plus qu'à implorer votre merci.-Sire maître, lui répondit la dame ou damoiselle, vous me semblez avoir la nature des vautours, qui suivent les armées dans l'espérance d'y trouver leur profit. Vous avez affaire à tant de gens, et tant de gens ont affaire à vous, que l'on vous aura sans doute parlé de moi; on vous aura dit que j'aime à entendre bien dire, et que je vois volontiers ceux qui sont habiles. Pour cette raison sans doute vous êtes venu d'abord pour voir qui j'étais, et si vous pouviez trouver en moi quelque chose qui vous dût plaire. Vous m'avez donc fait savoir tout ce que j'ai entendu de vous, et je pense que toutes vos paroles n'ont eu pour but que de m'engager à me garder du mal. Et comme vous m'avez appris que l'on ne sait jamais ni qui est bon, ni qui est mauvais, il convient que l'on se garde de tous les hommes. Je n'accorderai donc pas la merci qu'on me demande. Donc il m'est avis que, quand on ne veut pas faire une chose, on doit exprimer nettement son refus. Cela suffise à bon entendant ou, dans le style de l'auteur : Çou sosfice à bon entendant.

Les gravures dont est accompagné le texte sont une reproduction fidèle des miniatures que contiennent les manuscrits. Ce sont autant de types des arts du dessin au xi° siècle, comme on le verra par quelques-unes des gravures que nous donnons ici en spécimen.

Ainsi que l'expose M. Hippeau, ces mêmes animaux qui servent au chanoine d'Amiens de prétextes aux compliments adressés à sa dame sont employés ailleurs dans un tout autre sens, et sont autant de symboles parlants lorsqu'ils sont représentés dans les églises. Voici par exemple une gravure représentant la caladre, oiseau d'une blancheur éclatante et qui figure le Christ. La caladre apportée devant le lit d'un malade annonçait d'une manière infaillible si celui-ci devait guérir ou succomber dans le premier cas, elle se tournait de son côté; dans le second, elle se tournait dans un sens opposé. Image du

Christ, disaient les mystiques du moyen âge, qui tourne son visage. vers l'homme pieux et le détourne du pécheur.

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Un autre emblème a été plus célèbre encore au moyen âge. C'est celui de la licorne sculptée si souvent sur les chapiteaux des colonnes ou des piliers des églises. Cet animal redoutable s'adoucit en présence d'une jeune fille vierge, sur le sein de laquelle il va doucement se reposer: les chasseurs accourent alors et s'emparent de lui. C'est ainsi que le Christ, dont cette licorne est le symbole, a pris le jour dans le sein d'une vierge, et qu'il a été tué ensuite par les Juifs, représentés dans notre gravure sous l'image du chasseur.

Quel est l'auteur de cette Réponse ou contre-partie du Bestiaire d'amour? M. Hippeau trouve que, pour le style, elle est supérieure au Bestiaire lui-même. « Il y règne, dit-il, une animation et une verve railleuse qui sembleraient indiquer l'œuvre d'une femme, prenant au sérieux la requête qui lui est adressée et bien décidée à dire non,

Rien de plus moral, du reste, que cette réponse de la dame, dont

nous reproduisons ici le commencement avec la lettre ornée du portrait des deux personnages, telle qu'elle se trouve dans le manuscrit.

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Cet ouvrage est curieux, comme on le voit, et méritait les honneurs de l'impression. M. Hippeau a raison, quand il dit: « La critique ne se borne plus à admirer ou

à commenter quelques chefs-d'œuvre se distinguant surtout par la perfection de la forme; elle considère les œuvres, littéraires de toutes les époques, même des moins privilégiées, coinme des productions de l'esprit humain, venues à leur heure, et dignes par ce motif des regards de l'historien. >>

Ce qui ajoute au mérite de cette publication, ce sont les Notes sur les divers animaux mentionnés dans le Bestiaire d'amour. Ces Notes, justement renvoyées à la fin du volume, sont un travail intéressant. Elles attestent de longues et patientes lectures, et, ce qui est plus rare, la mesure et le goût dans l'érudition.

Julien TRAVERS.

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PARIS AU TREIZIÈME SIÈCLE

Par A. SPRINGER; traduit librement de l'allemand, avec Introduction et Notes, par un membre de l'édilité de Paris.

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SCEAU dè cire jaune appendu sur double queue de parchemin à une charte contenant un accord entre les marchands de Paris et ceux de Rouen, touchant le mesurage et la vente du sel. Cet acte fut passé à Gisors en présence de Philippe-Auguste. M. Léopold Delisle, dans son savant travail sur les actes de ce roi, place cette charte sous le mois de janvier 4210.

Sous ce titre, je viens de publier, dans le Trésor des pièces rares ou inédites, un volume dont la table des matières suffira pour faire saisir l'intérêt :

I. Prééminence de Paris sur toutes les autres villes.-II. De l'origine de Paris et de l'ancienneté de la hanse parisienne.-III. Prééminence de Paris au xin siècle.-IV. Sources auxquelles on peut puiser pour reconstituer le Paris du XIe siècle.-V. Situation primitive de Paris.-VI. Situation de Paris au XIe siècle.-VII. Chiffre des rues et de la population.-VIII. Division de Paris en trois parties.-IX. La Cité.-X. La rive gauche ou quartier de l'Université.-XI. La rive droite ou Ville proprement dite.-XII. Le Louvre.-XIII. Habitations seigneuriales et abbayes.-XIV. Description intérieure des habitations.-XV. Id.-XVI. Mobilier des habitations.XVII. Id.--XVIII.-Costume des habitants.-XIX. Des aliments.-XX. Des rues de Paris et de leurs industries.-XXI. Les cris de Paris et des professions qui les employaient.-XXII. Les crieurs de vin.-XXIII. Des divers péages et des marchés.-XXIV. Des foires.-XXV. -Les métiers de Paris et leur organisation.-XXVI. De l'observance du dimanche.-XXVII. Ap

provisionnement des marchés.-XXVIII. Règlements particuliers de certains métiers et fonctionnaires dont ils relevaient.-XXIX. Infractions aux règlements.-XXX. Conflits de juridiction.-XXXI. Esprit de mutinerie des habitants.-XXXII. Leur amour des plaisirs, des fêtes et des spectacles.XXXIII. De certaines fêtes et des édifices religieux.-XXXIV. Lois somptuaires et valeur de certains objets.-XXXV. De l'opinion publique, des jongleurs et des ménestrels.-XXXVI. Des croisades.-XXXVII. Des juifs. −XXXVIII. Du jugement des jongleurs et des ménestrels sur les gens d'Eglise.-XXXIX. De la littérature et des bibliothèques.-XL. De l'Université et de la bourgeoisie.-XLI. De l'influence de Paris sur les arts au moyen âge.

En tête du volume se trouve une introduction, due à la plume exercée du traducteur, M. Victor Foucher, dont les titres scientifiques sont trop connus du monde savant pour avoir besoin d'être rappelés; aussi, nous contenterons-nous de reproduire ici le tableau que cet écrivain fait de l'état de la France au XIIe siècle dans son introduction, parce que cet exposé suffirait, au besoin, pour justifier la faveur avec laquelle a été accueillie cette publication par nos lecteurs.

A. A.

« Lorsque Philippe-Auguste monta sur le trône de France, le domaine direct de la couronne, bien démembré depuis Hugues Capet, envahi de toutes parts par le flot de la féodalité, était presque réduit aux comtés de Paris, de Meulan, d'Etampes, d'Orléans, de Sens, de Bourges et au Vexin français, et encore ces possessions étaient-elles mal reliées entre elles en raison des fiefs et des châteaux seigneuriaux qui en interceptaient la libre communication.

Louis le Gros et son successeur avaient, à la vérité, commencé l'œuvre de régénération de la royauté en favorisant l'émancipation des populations, en poussant aux chartes de communes, en sanctionnant les traités qui les consacraient, en se faisant quelque peu les justiciers des grandes routes; mais, tout en défendant et en affermissant leur suzeraineté sur leurs puissants vassaux, ils respectaient encore les droits que ceux-ci avaient conquis sur la faiblesse de leurs prédécesseurs cependant c'était déjà la lutte entre la royauté et la féodalité, et cette lutte prit un nouvel essor à l'avénement de Philippe-Auguste.

Les grands vassaux crurent avoir facilement raison de ce roi à peine sorti de l'enfance; ils furent bientôt détrompés : l'activité du jeune roi déjoua leurs calculs, et leurs efforts tournèrent contre leurs entreprises. Les comtés d'Amiens, du Vermandois, du Valois furent annexés au royaume, dont l'Artois porta les frontières jusqu'à la Flandre; plus tard, la confiscation des fiefs de Richard d'Angleterre

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