que le hazard puisse tant sur nous, puisque nous vivons par hazard. A qui n'a dressé en gros sa vie à une certaine fin, il est impossible de disposer les actions particulieres ; il est impossible de renger les pieces, à qui n'a une forme du total en sa teste: à quoy faire la provision des couleurs, à qui ne sçait ce qu'il a à peindre? Aulcun ne faict certain desseing de sa vie, et n'en deliberons qu'à parcelles. L'archer doibt premierement sçavoir où il vise, et puis y accommoder la main, l'arc, la chorde, la flesche, et les mouvements; nos conseils fourvoyent, parce qu'ils n'ont pas d'adresse et de but: nul vent ne faict, pour celuy qui n'a point de port destiné. Ie ne suis pas d'advis de ce iugement qu'on feit pour Sophocles', de l'avoir argumenté suffisant au maniement des choses domestiques, contre l'accusation de son fils, pour aveoir veu l'une de ses tragedies; ny ne treuve la coniecture des Pariens, envoyez pour reformer les Milesiens, suffisante à la . 2 CIC. de Senectute, c. 7. — C. E. J. consequence qu'ils en tirerent : visitants l'isle, ils remarquoient les terres mieulx cultivees et maisons champestres mieulx gouvernees; et ayants enregistré le nom des maistres d'icelles, comme ils eurent faict l'assemblee des citoyens en la ville, ils nommerent ces maistres là pour nouveaux gouverneurs et magistrats; iugeant que, soigneux de leurs affaires privees, ils le seroient des public2, et d'une ques. Nous sommes touts de lopins*, contexture si informe et diverse, que chasque piece, chasque moment, faict son ieu; et se treuve autant de difference de nous à nous mesmes, que de nous à aultruy : Magnam rem puta, unum hominem agere 3. Puisque l'ambition peult apprendre aux hommes et la vaillance, et la temperance, et la libera→ lité, voire et la iustice; puisque l'avarice peult planter au courage d'un garson de boutique, nourri à l'umbre et à l'oysifveté, l'as 'HÉRODOTE, 1. 5. — C. 2 De pièces ou de morceaux. 3 Soyez persuadé qu'il est bien difficile d'être tou jours le même homme, SENEC, epist. 120. seurance de se iecter, si loing du foyer domestique, à la mercy des vagues et de Neptune courroucé, dans un fraile bateau; et qu'elle apprend encores la discretion et la prudence; et que Venus mesme fournit de resolution et de hardiesse la ieunesse encore soubs la discipline et la verge, et gendarme le tendre cœur des pucelles au giron de leurs meres : Hâc duce, custodes furtim transgressa iacentes, Ad iuvenem tenebris sola puella venit ' : ce n'est pas tour d'entendement rassis, de nous iuger simplement par nos actions de dehors, il fault sonder iusqu'au dedans, et veoir par quels ressorts se donne le bransle. Mais d'autant que c'est une hazardeuse et haulte entreprinse, ie vouldrois que moins de gents s'en meslassent. Sous la conduite de Vénus, la jeune fille passe tremblante au travers de ses surveillans endormis, et seule, pendant la nuit, va trouver son amant. TIBULL. 1. 2, eleg. 1, v. 75. CHAPITRE II. DE L'YVRONGNERIE. Sommaire. Toutes les fautes ne sont pas également graves: il y a des degrés dans les vices. — L'ivrognerie est un vice grossier: il ne demande pas, comme quelques autres, de l'adresse, du talent, du courage. Dans l'ivresse, le sage même n'est plus maître de ses secrets: on a vu pourtant quelques hommes qui, même en perdant la raison, conservoient du courage et le sentiment de leurs devoirs; mais d'autres ont souvent éprouvé, dans cet état, les plus grands outrages, sans même en rien sentir. Les anciens ont peu blâmé le vice de l'ivrognerie. C'est, en effet, celui qui porte le moins de dommage à la société. Boire est presque le seul plaisir qui reste à la vieillesse. Mais il ne faut pas être trop délicat sur le choix des vins, sans quoi l'on risque de transformer en peine une jouissance. Il ne faut pas non plus ne boire qu'à ses repas : les anciens passoient à boire les nuits et quelquefois les jours; et, en général, il seroit à désirer, pour que notre vie s'écoulât plus agréablement, que les repas de chaque jour fussent plus nombreux.-Digression sur le peu de chasteté des femmes.-Le vin, qui est presque un besoin pour les vieillards, doit être défendu aux enfants, et seulement permis aux hommes faits: encore doit-on le leur interdire lorsqu'ils sont à la guerre, ou lorsqu'ils exercent des fonctions de magistrature.—Bien que de boire soit une jouissance pour les vieillards, rien ne leur est moins salutaire. Le vin peut-il triompher de la sagesse ? Pour répondre, il ne faut qu'examiner la foiblesse humaine. Le moindre choc ébranle notre fermeté. Des braves frémissent à la vue d'un précipice, gémissent lorsqu'ils sont atteints par quelque maladie : aussi les poètes même font pleurer leurs héros. Il est vrai que plusieurs sectes, les Stoïciens, les Épicuriens même, offrent des exemples d'une rare impassibilité ; et l'on a vu des chrétiens, martyrs, défier leurs bourreaux. Ce ne sont là que des boutades de courage, les effets d'un enthousiasme frénétique. L'ame qui s'élève ainsi au-dessus de son état ordinaire, peut oublier les règles communes de la prudence et de la raison. Exemples: Josephe et un ambassadeur; Auguste et Lucius Piso; Tiberius et Cossus; Cassius; Cimber; les Allemands; Attale et Pausanias; |